Pourquoi il est urgent de réhabiliter la grâce de Dieu dans nos vies

Vous dites que Dieu est simple. Comment définir simplement la grâce ?La racine hébraïque du mot grâce, hen, évoque le regard qui se penche. S’il fallait définir la grâce de manière la plus condensée, ce serait la bienveillance divine qui se penche sur sa créature.C'est donc le Père qui donne la grâce ?Oui, bien sûr. Tout vient de Dieu, notamment toute grâce. Et puis Dieu s'est penché jusqu'à notre hauteur en nous donnant son Fils et en devenant homme lui-même. D’où les premiers mots du prologue de saint Jean : « La loi a été donnée par Moïse; la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ ».A quel moment reçoit-on cette grâce divine ? Au moment du baptême ?La première grâce est la faveur d'exister. Il y a toujours un ‘déjà là’ de la grâce, même si nous ne l’avons aucunement mérité.La grâce de Dieu est-elle offerte à tout le monde, aux chrétiens comme aux autres ? La faveur d’exister est commune à l’insecte, à l’ange et à la planète… Mais c’est à ses créatures spirituelles (ange et homme) que Dieu veut se communiquer par sa grâce.Une fois la grâce obtenue, est-elle définitive en nous ? Pour filer cette image d'un Dieu qui se penche sur nous, prenez celle de parents qui se penchent sur le berceau de leur bébé et lui font des sourires. Au début, l'enfant y répond par une sorte de grimace un peu informe, qui deviendra peu à peu un vrai sourire. La bienveillance divine de départ, sa grâce, suscite de notre part une réponse de gratitude. L'idée de cette bienveillance divine n'est pas simplement de nous procurer quelques bienfaits, mais de se communiquer à nous. Dieu se donne lui-même. L’Esprit Saint est la grâce incréée.Vous dites que la grâce est un don de Dieu. L’homme peut-il s’en déprendre ?L’homme, dans sa liberté, peut y faire obstacle par son péché. A l’inverse, Marie pleine de grâce est telle que Dieu l'a envisagée au moment de créer, et ce que toute créature humaine aurait dû devenir. Elle a reçu la grâce incréée, qui a produit tous ses effets sans y mettre aucun obstacle. De ce fait, elle est parvenue à la gloire, puisque la grâce est les premières arrhes de la gloire qui nous est destinée. Elle est pour nous très exemplaire.Dieu attribue-t-il des grâces particulières à certains ?La grâce est là pour nous faire vouloir le bien, pourtant l'homme sent bien en lui-même cette espèce d'incapacité à l’accomplir. Vous savez, c'est la fameuse phrase de saint Paul « Je ne fais pas le bien que je voudrais, mais je commets le mal que je ne voudrais pas». Dieu nous donne aussi une grâce dite « actuelle » pour que nous puissions non seulement vouloir le bien, mais en plus l'accomplir.Tout le monde reçoit-il cette grâce actuelle ?Chaque fois que quelqu'un agit bien, c'est en vertu d'une grâce actuelle qu'il a reçue. Personne ne peut dire « J'ai bien agi, mais c'est moi qui agit bien et je l'ai fait tout seul. Tout le mérite m'en revient ». Il faut dire avec saint Paul : « Ce n’est pas moi, mais la grâce de Dieu avec moi ! ».Si Dieu est toujours responsable du bien que nous faisons, pouvons-nous être tentés de ne plus rien faire ?Ah résistons à cette tentation ! La phrase du psaume 126 « Si le Seigneur ne bâtit la maison, les bâtisseurs travaillent en vain », ne veut pas dire que les bâtisseurs peuvent se tourner les pouces puisque le Seigneur bâtit la maison. Il faut que les bâtisseurs travaillent, mais qu'ils sachent que leur construction sera vaine et n'aura aucune portée si le Seigneur, en amont, n’a déjà travaillé en eux et ne leur donne d'accomplir le bien.Il semble que certains reçoivent une pluie de grâces et d'autres pas beaucoup.Je crois que Dieu donne à chacun la grâce nécessaire pour accomplir le bien qui lui est demandé. Il y a des grâces d'État ; chaque état bénéficie de grâces particulières. La grâce que reçoit une mère de famille pour élever ses enfants n'est pas celle que reçoit le moine pour vaquer à la prière.Pourquoi aujourd'hui ne parle-t-on plus du tout de la grâce ?La question de la grâce est la grande question au XVIIᵉ siècle, en France, non seulement dans la faculté de théologie, mais au Parlement de Paris ! Si on l’a mise sous le boisseau, c’est justement parce qu'on sait très bien que c'est un peu compliqué et polémique.Pourquoi polémique ?Depuis au moins le IVème siècle, plusieurs courants se sont affrontés sur le sujet. Pélage disait finalement que la nature humaine pouvait très bien s'en sortir toute seule, qu’elle n’avait pas besoin de la grâce. A l’inverse, Luther disait que tout vient de la grâce, au détriment de la nature. La position catholique, défendue par saint Augustin, était de dire que grâce et nature sont indissociables et qu’il faut tenir les deux ensemble. Ainsi, tout ce que nous faisons de bien est dû à la grâce de Dieu, ce qui pourtant n’oblitère pas la liberté humaine, mais au contraire la fonde et la pose. Le pape François ne cesse de dire que nous sommes pélagiens.En quoi sommes-nous pélagiens aujourd’hui ?Etre pélagiens c'est ne compter que sur soi même, être persuadé de pouvoir très bien agir sans le secours de la grâce ni de Jésus Christ. Il nous a donné un beau modèle de sainteté, mais sa grâce n'a pas d’impact sur notre vie. Comment la faire entrer concrètement dans notre quotidien ? En faisant davantage confiance à Dieu, en ayant conscience que la création tout entière est portée par la grâce divine. Tout vient de Dieu et tout vient de l'homme, sans contradiction. Exactement comme Jésus-Christ est pleinement Dieu et pleinement homme, sans contradiction, de la même manière que la Bible est pleinement Parole de Dieu et pleinement parole humaine, sans contradiction. Dieu est-il consulté dans ma manière d'agir, dans la manière dont je tiens mon agenda? Ai-je conscience que les bons choix que je pose sont aussi portés par Sa grâce ?Pourquoi la grâce n’est-elle plus en odeur de sainteté aujourd’hui ?Les affaires récentes dans l'Église rendent très difficile la posture de ceux qui disent « Moi, j'ai confiance en Dieu ». Prétendre faire confiance à Dieu est devenu suspect, dangereux, voire irresponsable. On a donc tendance à s'en remettre beaucoup à la prudence humaine avec la mise en place de structures, d’institutions, d’organisations, de séminaires, de cellules psychologiques, de synodes. Très bien. Il faut de la prudence humaine, elle fait partie de la nature et c'est très important. Il faut également l’équilibrer par une confiance en Dieu et un appel à la grâce. Voici mon petit « pastis » personnel: il me semble qu’une fois mise en place le tiers de prudence humaine nécessaire, il faut pour les deux autres tiers faire confiance à Dieu. Comme ce n’est pas très juste théologiquement, je vous propose même un pastis pagnolesque : trois tiers de confiance en Dieu et un tiers de prudence humaine.Comment faire régner ou demeurer la grâce dans nos vies ?La grande grâce qui nous a été faite est bien sûr Jésus, source de toute grâce. Les moyens que le Seigneur a choisis pour répandre sa grâce sont les sacrements. Ils sont, comme disait Bossuet, Jésus Christ répandu et communiqué sur la terre. Ils sont la continuation de Jésus-Christ, notamment le baptême. Même si Dieu peut peut passer outre les lois qu'il a lui-même formulées, donner sa grâce comme il l'entend et d'une toute autre manière.La grâce peut-elle revenir en grâce aujourd'hui?Je crains toujours que l’orgueil des oeuvres ne nous ferme à la grâce. L’homme va chez le médecin, prend des traitements, se dit qu’il n’a pas besoin de grâce. Mais si ! La grâce divine est toujours à l’œuvre et agit sur tout, même sur le médecin !