Bénédicte Delelis : La flamme de la bonté

Un épisode de Bakhita, le terrible roman de Véronique Olmi sur la vie de la sainte, m’a énormément marquée. Bakhita est capturée, enfant, dans son village du Soudan, par des musulmans qui pratiquent la traite d’esclaves. Elle a environ 7 ans. Le choc est si grand qu’elle ne sait même plus son prénom, le nom de son village, rien. Elle croit juste que tout est de sa faute parce que sa maman lui avait bien recommandé de ne pas s’éloigner du village… Bakhita marche pendant des jours, sans manger ou à peine, sans vêtement. On la jette le soir dans des trous sombres pour dormir quelques heures, puis elle est vendue sur le marché, abusée et maltraitée par de cruels maîtres.Un jour, elle rencontre un maître chrétien italien. En faisant le ménage chez lui, elle découvre un crucifix. « Qui est cet homme torturé ?, se demande-t-elle, touchée en plein cœur. Un esclave comme moi. » Et c’est le début de sa grande histoire d’amour avec Jésus, « le Patron », comme elle l’appelle, un patron esclave, comme Bakhita qui deviendra ensuite religieuse en Italie. Cette parole est demeurée comme un rempartVéronique Olmi raconte qu’avec les maîtres précédents, la jeune fille, souillée par la violence qu’elle subit, s’est sentie envahie par la haine, le dégoût d’elle-même. Un souvenir la retient alors au bord du précipice du désespoir ; sa mère qui lui disait : « Tu es bonne, tu es gentille. » Cette parole est demeurée en Bakhita comme un rempart. Maltraitée, méprisée, rien ne peut lui arracher la mémoire de ce qu’elle est profondément et que sa mère lui a révélé : elle est bonne, elle est gentille. Et elle a cultivé cette parole comme on souffle sur des braises pour que la flamme jaillisse à nouveau et danse dans le noir.J’ai trouvé quelque chose de semblable dans le film du réalisateur Florian Henckel von Donnersmarck, La Vie des autres. Le film se passe dans la République démocratique allemande, dans les années quatre-vingts. Un homme de la Stasi, la police communiste, est chargé d’espionner un écrivain et sa compagne actrice. Ce policier est, au départ, un pur produit du Parti communiste, qui croit à l’idéologie marxiste. Mais, le doute s’insinue en lui quand il découvre les mobiles peu avouables de ses supérieurs, et la vie courageuse et touchante de l’écrivain et de sa femme, qu’il épie jour et nuit.La beauté d'une pièce de théâtrePlusieurs moments lézardent la forteresse de sa dureté et sa foi dans le régime : la beauté d’une pièce de théâtre, celle d’une sonate de Beethoven, l’amour de l’écrivain qui pardonne une grave trahison. Enfin, un épisode achève de le renverser. Rencontrant par hasard la comédienne qu’il surveille, celle-ci lui déclare, en le regardant droit dans les yeux : « Vous êtes un homme bon. » Il tressaille ; si elle savait qui il est et ce qu’il fait ! Pourtant, cette parole va tout transformer. L’étincelle de bonté que la femme a discernée prend feu et devient ce qui guide le reste de l’existence de l’espion qui devient vraiment « un homme bon ». Ces deux épisodes convergents m’ont frappée. Sûrement Dieu pose-t-Il ses yeux sur nous, comme cette mère ou comme cette comédienne qui a su regarder. Dieu continue de contempler en nous son image splendide, bien que recouverte de boue quelquefois. Mais Lui la voit toujours. C’est en cela qu’Il espère, sans jamais s’arrêter d’espérer, à tel point que sous son regard divin, cette flamme de bonté, si petite soit-elle, peut triompher.